Les Ateliers de l’œuvrement reçoivent… Grazia Giacco

Dans ce podcast, Danielle Boutet[1] s’entretient avec Grazia Giacco, musicologue et enseignante-chercheuse à l’Université de Strasbourg (France). Grazia Giacco est spécialiste de la musique des 20e et 21e siècles et s’intéresse aussi depuis plusieurs années à la recherche-création. L’entrevue a eu lieu le 11 février 2022.

▲ Écoutez l’enregistrement audio de l’entrevue ou lisez sa transcription ci-dessous ▼

Bienvenue à une entrevue réalisée par le collectif Les Ateliers de l’œuvrement : un collectif de recherche sur la recherche-création, affilié à l’Université du Québec à Rimouski.

Mon nom est Danielle Boutet [DB]. Je suis en compagnie de Grazia Giacco [GG], musicologue et professeure-chercheure à l’Université de Strasbourg. Grazia Giacco est spécialiste de la musique des 20e et 21e siècles et s’intéresse aussi à la recherche-création. À cet égard, elle est membre de l’Unité de Recherche ACCRA sur les Approches contemporaines de la création et de la réflexion artistiques, ainsi que du CREAT, le Laboratoire Création et Recherche dans l’Enseignement des Arts et de la Technologie, à Lausanne.

Elle a publié plusieurs livres, comme seule autrice ou encore en collaboration, aux éditions EME – dont :

  • Recherche-création et didactique de la création artistique : le chercheur travaillé par la création, en 2018;
  • Définir l’identité de la recherche-création : état des lieux et au-delà, en 2020
  • Et tout récemment, en 2021, Entretiens en miroir : réflexion sur l’expérience artistique, avec Christophe Rosenberg.

J’ai rencontré Grazia Giacco récemment, alors qu’elle m’écrivait au sujet d’un de mes articles. J’avais moi-même entendu parler d’elle – en beaucoup de bien – et notre rencontre est rapidement devenue amicale et très stimulante. Nous avons tout de suite trouvé une multitude de terrains d’entente et d’idées communes. Alors elle a gracieusement accepté mon invitation de faire cette entrevue, dans laquelle nous explorerons son travail sur la recherche-création – et ses idées sur les développements possibles et à venir de ce type de recherche.


DB : Grazia Giacco, bonjour.

GG : Bonjour! Bonjour à toi et à tout le monde.

DB : Merci de m’accorder ce temps précieux, de nous accorder ce temps. Alors, pour commencer, si tu pouvais nous dire quelques mots sur comment tu en es arrivée à t’intéresser à la recherche-création depuis un parcours de musicologue. Ce n’est pas banal.

GG : Oui, c’est vrai ! C’est très intéressant que tu commences avec cette question. Je suis très heureuse d’y répondre. Il est vrai que, quand on parle de recherche-création, on pense souvent à l’espace des arts visuels, des arts plastiques ou de la danse et moins à celui de la musicologie et de la musique. Pourtant, vous avez des éminents chercheurs de l’Université Laval qui ont beaucoup travaillé sur cette question de la recherche-création. Je pense à Sophie Stévance et Serge Lacasse. Et c’est vrai qu’en France, disons que la recherche-création en musicologie était à l’époque, l’année où j’ai commencé à y travailler, moins diffusée. Je vais reprendre au moment où j’ai été recrutée en tant que maître de conférences à l’université de Strasbourg, c’était en 2013. La première année, on avait la possibilité de participer à un projet de recherche, de soumettre un projet de recherche, dans un dispositif qui s’appelait IdEx (initiatives d’excellence). J’ai soumis un projet que j’ai intitulé Didactique de la création artistique. Il se trouve que c’est à ce moment-là, moi qui venais d’une pratique de musicienne, je suis altiste et violoniste, j’ai beaucoup travaillé durant de nombreuses années avec des compositeurs et des interprètes sur le processus de création, sur leur esthétique, l’analyse de leurs œuvres. Donc je venais de cette pratique musicale et non seulement musicologique. Et au moment où je voulais soumettre un projet pour ce dispositif, en effet je voulais concevoir un projet qui pouvait réunir à la fois ma recherche en musicologie et mes pratiques pédagogiques à l’université. Parce que j’avais été nommée aussi pour former les futurs enseignants de musique. Et donc, j’ai commencé à m’interroger sur quels pouvaient être les cadres théoriques de référence. Et je ne voulais pas… je sentais, disons, que les cadres théoriques liés aux sciences de l’éducation n’étaient pas, pour moi à ce moment-là, suffisants. [5’00] Donc, je voulais vraiment chercher quels pouvaient être les cadres théoriques et l’ensemble des perspectives méthodologiques qui étaient vraiment liés à la recherche en arts et aussi à la question de la transmission. Parce que ce qui m’intéressait, c’était comment réunir l’aspect pédagogique et l’aspect de la création. Comment former à la création.

DB : Oui, c’est toute une question ça, comment former à la création.

GG : Oui ! Mais disons que, pour chercher une légitimation de ma recherche, je ne voulais pas adopter des cadres issus des sciences de l’éducation parce que je trouvais qu’ils étaient extérieurs au faire, à la pratique artistique. Je ne voulais pas imposer un cadre, mais je voulais chercher des cadres issus de la pratique elle-même. Alors je suis allée chercher du côté des arts, parce que j’ai eu cette impression… je pensais que finalement le problème que moi j’avais, à construire un projet dans le cadre pédagogique, probablement était le même problème, rejoignait le même questionnement, que des artistes avaient lorsqu’ils s’engageaient dans un travail de recherche à l’université [6’40]. Je sentais qu’il y avait une même proximité de posture.

J’ai commencé à chercher du côté de la recherche en arts et là je suis tombée sur un dossier méthodologique d’une performeuse qui s’appelle Leonore Easton que j’ai trouvé en ligne sur le site de la Haute École de Théâtre de la Suisse Romande, La Manufacture. Un dossier qui s’appelait Rapport sur les méthodes utilisées en recherche artistique dans le domaine des arts de la scène. C’était en 2011. Donc j’ouvre ce pdf, et là, ça a été pour moi une révélation de lire ce dossier. Parce que j’ai découvert que les questionnements qu’elle se posait rejoignaient vraiment les mêmes questionnements que je me posais moi, mais plutôt de la partie pédagogique, de la formation à la création. Et c’est justement en lisant ce dossier que j’ai commencé à découvrir des noms : un ‘certain’ Gosselin, un ‘certain’ Borgdorff [7:54], plusieurs noms sont apparus. Et c’est de fil en aiguille que j’ai commencé à chercher ce qu’avaient écrit ces auteurs. Il y avait une très belle bibliographie en plus dans ce rapport. D’ailleurs, c’est un rapport qu’on ne trouve plus en ligne. J’avais même contacté la chercheuse, la performeuse, et puis je lui avais demandé si elle comptait le publier. Elle m’a dit que c’était inédit, que c’était un travail qu’elle avait fait lorsqu’elle était étudiante. C’était un dossier qui avait été mis en ligne par la Haute École, mais on n’arrive plus à le retrouver en ligne. Peut-être qu’un jour ce sera édité, mais en tout cas, c’est vraiment une mine d’or.

C’est à partir de là que j’ai commencé à comprendre qu’en effet, il y avait tout un domaine, une bibliographie, toute une recherche déjà qui remontait au moins aux années 1990, voire avant, sur cette question dans l’espace anglophone, mais aussi dans l’espace francophone. Et c’est là que je suis arrivée assez rapidement à lire tout ce que Gosselin et son équipe avaient écrit.  Et à partir de là, voilà, c’est une histoire qui est arrivée jusqu’à toi. C’est comme ça que j’ai commencé à travailler dans la recherche-création. [9’38]

DB : Est-ce que tu identifies un axe particulier de la recherche-création au Québec, avec Gosselin, Laurier, Le Coguiec, etc., et ce qui se faisait dans le monde anglophone et francophone, européen. J’ai entendu dans ce que tu as dit que finalement, tu t’es retrouvée devant plusieurs auteurs. Est-ce que tu t’es retrouvée aussi devant plusieurs approches et est-ce que tu as été obligée d’en choisir une ?

GG : Disons que oui, ça s’est ouvert, j’ai soulevé un couvercle et il y a eu plein de pistes qui se sont croisées, qui se sont révélées.

DB : Et pourquoi tu en as choisi certaines, qu’est-ce qui t’a alignée?

GG : Alors, il se trouve que ce qui m’a beaucoup intéressée c’était de comprendre déjà, pour ce projet en 2014 que j’avais déposé, que j’avais obtenu pendant deux ans et donc j’étais financée pour ce projet sur la didactique de la création artistique, entre 2014 et 2016. Ce qui a été fondateur pour moi et aussi pour mes collègues – parce qu’après, on est devenus une équipe qui travaille encore sur ces questions-là – c’était de voir qu’il y a toute une épistémologie et méthodologie issues directement de la pratique. Le point principal, c’était cette découverte, fondatrice pour moi, qui dépasse même, qui va même plus loin de la question de l’articulation théorie et pratique – dont on parle bien sûr à juste titre. Mais disons, je crois, qu’il y a quelque chose qui va encore plus loin et qui permet d’aller encore plus loin, grâce à ce qu’on appelle recherche-création – et que toi tu dis très bien au début d’un texte que tu as publié sur un site, La dynamique instaurative dans la recherche-création[2]… Tu le dis très bien : ce mot de recherche-création ne peut avoir qu’une seule définition, il est polysémique. Et pour les personnes qui l’abordent et pour les personnes qui font de la recherche dans cet espace. Je reviens à ta question : qu’est-ce que j’ai retenu de toutes ces pistes ? Déjà, comme je disais, j’ai retenu le fait qu’on puisse interroger la création par la pratique elle-même. Ne pas imposer un cadre théorique extérieur, mais vraiment être au plus près de ce qui émerge de la pratique, qui fait aussi appel à toute une connaissance tacite. Après, ce qui était intéressant, c’était de voir – et là, je pense à Pierre Gosselin, car je suis vraiment redevable de toute la réflexion que j’ai pu construire grâce à lui [13’25] – et de comprendre qu’il y avait un lien très fort entre la pédagogie, donc entre la didactique de la création et la recherche-création. C’est-à-dire que les deux espaces n’étaient pas déconnectés. Et ça, je l’ai compris assez rapidement lorsque je me suis décidée, un an après le début de ce projet – donc c’était en septembre 2015 – de lui écrire ! J’ai pris, l’initiative d’écrire à Pierre Gosselin et puis de lui dire… Bien voilà, on a commencé ce projet, je crois que vous pourriez nous aider à continuer à travailler sur cette question-là, et je voulais l’inviter au colloque de janvier 2016. Donc je lui avais écrit en septembre 2015 et il m’a répondu quelques semaines après. On a rapidement organisé un entretien en visio et on ne s’est plus quittés ! Depuis 2015, on se voit très très régulièrement, voire parfois une fois par mois, parfois même plus. Il est venu plusieurs fois ici en France pour des journées d’études, même en Suisse, pour des académies d’été qu’on avait organisées à Lausanne, avec John Didier et Sabine Chatelain. Et c’est vraiment ce rapport très fort entre toute cette épistémologie liée à la recherche-création et la possibilité donc de concevoir de nouvelles approches en pédagogie des arts. C’est ça qui m’a vraiment, énormément aidée à développer cette approche-là.

Parce qu’il est vrai que, souvent, quand on parle de pédagogie, de didactique, on a rapidement des références en Sciences de l’éducation. Et moi je trouvais en effet que, en particulier en musique, on ait puisé ces références-là, leurs cadres de didactique extérieurs aux arts, comme par exemple la didactique des mathématiques, etc., j’avais l’impression de passer à côté d’une résonance particulière, d’une dynamique particulière qui est propre à l’art. Et que j’avais vraiment besoin de pouvoir m’appuyer sur d’autres champs conceptuels, d’autres approches méthodologiques. Parce que je crois que les questionnements que se pose un artiste lorsqu’il s’engage dans un mouvement, dans une dynamique de recherche, et des questions que se pose aussi un enseignant au moment où il se trouve devant une classe, ou devant un élève-artiste, un jeune artiste, se rejoignent, voilà. On se pose les mêmes questions.

DB : Ah oui, ça, je comprends très bien. Est-ce que c’est à cause de la nature même de la création artistique en tant que telle ? Parce que tu sais, si on est dans la didactique, mettons, des mathématiques, on enseigne quelque chose à l’étudiant, mais dans les arts, on enseigne à l’étudiant à trouver lui-même quelque chose. Et puis il y a une dynamique très autoformatrice dans le travail avec les étudiants sur la création artistique.

GG : Oui, c’est exactement ça. C’est pour ça que, comment dire, on a à la fois un rapport au savoir, un rapport au savoir-faire et au savoir-être qui est vraiment spécifique. Et je crois que parfois, pour trouver une légitimité, pour se sentir légitime de pouvoir parler, de pouvoir construire un projet scientifique à l’intérieur du champ académique, on s’accroche à des cadres théoriques qui parfois nous semblent – et le sont probablement – scientifiques, mais qui peut-être nous font perdre quelque chose qui est vraiment spécifique et singulier.

DB : Parce qu’ils sont objectivants.

GG : Oui.

DB : C’est ça. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut faire avec la recherche-création. Enfin, la recherche-création, oui… Il y a beaucoup de sortes de recherche-création, c’est ce qu’on dit depuis tout à l’heure…

GG : Oui, oui, complètement.

DB : La recherche-création qui est sur les modes de création, tout cela peut être objectivant un peu, mais la recherche-création qui est faite par l’artiste même, pour pouvoir trouver des éléments concernant sa création, sa pratique, elle ne peut pas objectiver.

GG : Complètement. Et alors il y a ce lien entre recherche-création et didactique ou pédagogie des arts – et de la création en particulier – et quand je dis « création », j’entends aussi par-là interprétation, en particulier en musique…

DB : Ça, c’est intéressant… l’interprétation.

GG : Oui, mais comment dire, ce qui m’a permis de développer une réflexion, c’est que grâce à la recherche-création, je crois avoir compris qu’il y a un changement de paradigme qui s’opère, grâce au fait qu’on ait pu, depuis au moins vingt ans maintenant, chez vous, voire plus, et peut-être un peu moins, une dizaine d’années ici en France, permettre que la recherche-création rentre dans l’espace académique. Il y a deux choses, en effet, que j’ai retenues, desquelles j’aimerais te parler. La première, c’est qu’effectivement on laisse la parole aux praticiens, aux artistes, aux praticiens des arts, et la possibilité de s’engager dans un travail universitaire et de production des connaissances. Cela, c’est vraiment quelque chose de très important. Mais le deuxième point, c’est que finalement toute cette hybridation de méthodologies, toutes ces nouvelles formes aussi de diffusion, d’écritures, je crois qu’elles interrogent en retour, déstabilisent un peu notre propre manière de faire recherche [20’16], à nous. Je parle de mon point de vue, de mon point de parole de musicologue. Est-ce que finalement la recherche-création va nous permettre à nous, musicologues – mais d’autres pourraient se poser la question de leur propre point de vue disciplinaire – de penser notre recherche autrement ? Parce que, quand on dit que finalement la recherche-création permet de transformer, de se transformer, permet à l’artiste et à la recherche de se transformer, il y a une opération, une dynamique de transformation. Eh bien, moi je demande si finalement, ce contact de l’art, cette présence de l’art à l’université ne permet aussi aux chercheurs de se transformer.

DB : C’est intéressant. C’est vrai, c’est ce dont je parlais dans « La dynamique instaurative », montrer l’aspect autoformateur d’un travail de recherche-création qui se fait en première personne, qui est réflexif en somme. Le sujet de la recherche et le chercheur, c’est la même personne. Mais on a vu… je ne sais pas si c’est une réponse à ce que tu dis, mais on voit une multiplication de l’intérêt pour la recherche en première personne dans d’autres champs. Je pense entre autres, aux États-Unis, à l’autoethnographie, qui est vraiment un champ très intéressant, mais proche des intuitions de la recherche-création. Puis aussi, nous, on fait un travail en études des pratiques psychosociales, qui utilisent un peu les mêmes méthodologies. J’ai l’impression que tu as raison, tu touches à quelque chose… Ce qui s’est passé, ce qui se passe en recherche-création, ça ouvre sur quelque chose qui va intéresser beaucoup d’autres champs dans les sciences humaines.

GG : Oui oui, complètement. Moi, par exemple, à l’université, mon rôle ce n’est pas celui de l’artiste-chercheur, moi je suis chercheuse en musicologie bien que je sois praticienne musicienne. Mais, comment dire, je m’engage depuis ce projet-là et après, ça a beaucoup évolué après 2016. Et rapidement je peux revenir sur quelques dates : de 2014 à 2016, on a travaillé vraiment sur ce projet Didactique de la création artistique, et là j’ai compris vraiment qu’il y avait un besoin énorme, de vraiment approfondir ce champ, et épistémologique et méthodologique, en recherche-création…

DB :  … c’est passionnant…

GG : … en étudiant tous les auteurs qui avaient déjà écrit sur ça. On pourra laisser la bibliographie sur le site… Je ne vais pas citer ici tous les auteurs qui ont déjà travaillé, fait avancer ce questionnement-là. Mais disons que, j’avais envie vraiment de me dire : il faut absolument qu’on développe ce projet initial et donc, suite à ce premier projet, on a fondé conjointement un groupe de recherche au sein de mon équipe ici à Strasbourg, qui s’est appelé Recherche-création méthodologie didactique dans les arts et la technologie, avec mes collègues Stéphane Mroczkowski, Maxime Favard et bien d’autres. Et en même temps, on a créé un laboratoire international à Lausanne, au centre de la Haute École pédagogie de Vaud [24’11] grâce aussi à l’intérêt et à la dynamique de mes collègues lausannois, John Didier et Sabine Chatelain. Et là, on a mis en place entre 2017 et 2018, deux académies, une académie d’été et une académie d’hiver – une à Strasbourg et l’autre à Lausanne – , où on a justement expérimenté, aussi en particulier dans l’académie d’été en 2017 à Lausanne, une autre manière de faire recherche. Ça veut dire qu’on n’était pas dans le format typique « communication / discussion », mais on a renversé complètement le dispositif. On s’est inspiré de ce qui se passe dans les master class d’instruments par exemple : il y a quelqu’un qui vient, [25’05] un musicien, il y a plusieurs étudiants, élèves-musiciens, mais qui ont déjà un bon niveau et qui présentent un premier mouvement d’un concerto, par exemple, ou d’une sonate, et puis il y a des experts qui donnent leur master class publique. On s’est inspiré un peu de cette manière-là et donc l’idée c’était que chaque intervenant, plutôt que de présenter son intervention suivie de dix minutes de dialogue, on a renversé le format et on a  demandé aux intervenants en dix minutes de partager avec les autres une question qui les travaillait à ce moment-là. Je me suis moi-même prêtée au jeu. Donc chacun a présenté en dix minutes le questionnement qui le travaillait et on avait à chaque fois deux experts, on peut dire comme ça, qui écoutaient et puis, qu’ils devaient réagir. Le dialogue s’instaurait à ce moment-là, mais aussi avec les autres. C’était vraiment sous forme, presque, d’atelier. Le sujet, bien sûr, c’était la question de la recherche-création et aussi de la pédagogie en arts. Aussi des questions didactiques, de la transmission, etc. Voilà, ça c’est un exemple pour dire comment finalement ce contact avec la recherche-création, pour moi, ce n’est pas simplement un objet d’étude. C’est à la fois un objet d’étude, si on peut dire comme ça, mais c’est aussi un terrain de recherche pour moi-même. Toutes ces méthodologies-là de la recherche-création ont, d’une certaine manière, inspiré – je n’aime pas trop ce mot, mais… – il y a comme une sorte de porosité, il y a quelque chose qui est passé dans ma propre manière de faire recherche et de faire recherche au sein de toute l’équipe des collègues avec qui je travaille.

DB : Tu touches à une question que je voulais te poser justement. Ma question, qui est comme une intuition que j’ai depuis longtemps, depuis que j’ai commencé à travailler en recherche-création, peut-être même avant de savoir le nom… C’est de savoir si la recherche-création, elle a un avenir, une possibilité, en dehors de l’université. Dans le sens de… est-ce qu’elle peut avoir un impact sur la culture, sur le public, mais aussi… Tu y as touché tout à l’heure, au sens où ça commence peut-être à faire une influence dans les autres sciences humaines. Ça répond au déficit d’objectivité des sciences humaines. Déjà ça a cet aspect-là d’influence. Mais par l’aspect autoformateur de la recherche-création, les étudiants, ceux dont tu parles justement, ne font pas juste apprendre quelque chose sur leur création à eux, mais ils apprennent quelque chose sur l’introspection. Ils apprennent quelque chose sur comment rencontrer à l’intérieur de soi les modes de production, par exemple, de création, et aussi des savoirs. Il y a quelque chose là-dedans qui est profondément réflexif. Est-ce que ça peut… est-ce que ça s’applique ailleurs ? Tu le dis un peu en disant : déjà les chercheurs eux-mêmes reprennent la dynamique de la recherche-action…

GG : Oui, je me suis aperçue qu’il y avait comme une sorte de résonance qui se mettait en place. Comme une sorte de mimétisme. Peut-être que c’est les neuro-miroirs. À force de travailler avec les artistes… il y a peut-être quelque chose qui passe. Mais au-delà de ça, de cette question du mimétisme, je pense qu’on se dit finalement qu’il y a un changement qui est en train de s’opérer, depuis plusieurs années, ce n’est pas que maintenant. Mais disons que je le ressens de manière très vive. Je vais reprendre ce que tu dis parce que j’ai eu une idée avant, que j’aimerais te dire, et qui peut-être va justement appuyer puis rebondir sur ta question. [29’45]

Je te disais tout à l’heure, quand au tout début j’avais cherché parmi plusieurs références j’étais tombée sur ce dossier de Leonore Easton. C’est là qu’elle citait un article de 2008 de Borgdoff qui s’intitulait Artistic research and Academia : an uneasy relationship[3] — un autre article était aussi intéressant : La production de la connaissance dans la recherche artistique[4], on en reparlera plus tard. J’avais retrouvé cet article de 2008 en pdf, en ligne – il y a plusieurs textes d’ailleurs de Borgdoff qui sont accessibles en open access, c’est vraiment une mine d’or… Je le remercie énormément, s’il nous entend un jour – et j’ai retrouvé l’impression que j’avais faite à cette époque, c’est cet article-là (elle le montre à la caméra). Il y avait une phrase que je vais te lire. J’ai retrouvé même une note que j’avais mise avec un stylo, où j’avais mis art et je l’avais fait suivre par education. Alors je préfère la lire plutôt en français quand il dit : De quelle quantité de théorie la recherche artistique a-t-elle besoin ? Eh bien nous ne devrions pas dire « voici une théorie qui éclaire la pratique artistique » mais « voici un art qui nous invite à réfléchir »[5].

DB :  Oui! Oui, c’est ça.

GG : C’est ça. Et là, pour moi, ça avait été vraiment une révélation cette phrase. Je la cite encore aujourd’hui parce que pour moi c’est vraiment là un nœud capital. Et quand tu dis, quand tu poses la question : quel est le futur de la recherche-création au-delà de l’université ? Je pense que finalement c’est peut-être la question de, comment dire, de se dire que l’art n’est pas simplement là pour nous mettre en contact avec une dimension sensible, tacite, une connaissance tacite, etc., mais que peut-être, dans la manière d’être, de faire déjà du processus artistique, il y a d’autres manières de penser le monde. Et donc ça, bien sûr, va au-delà aussi de l’université.

DB : Oui, il y a d’autres manières de penser le monde…

GG :  Oui et je me dis que, finalement, aussi si je regarde à l’intérieur de l’université, je me dis que peut-être la recherche-création, en tout cas pour moi et peut-être pour d’autres, pose la question quel est le rôle du chercheur aujourd’hui ?

DB : Mais on pourrait tout aussi bien poser la question : « Quel est le rôle de l’artiste aujourd’hui ? ». Parce que justement, moi, je remarque que dans l’art contemporain la dimension de : « Qu’est-ce que l’artiste pense ? Qu’est-ce que l’artiste a voulu faire ? Qu’est-ce qu’il cherche ? Qu’est-ce qui l’anime? », ça prend beaucoup de place. On regarde rarement maintenant des œuvres juste détachées de leurs contextes. On lit autour, on s’intéresse… et de plus en plus, les artistes apprennent aussi à produire ces discours-là, si on veut, sur leur expérience. Et c’est ça qui est profondément contemporain d’une part, parce que le moment contemporain est un moment de réflexivité dans la société, dans la culture. Une réflexivité croissante. Puis les artistes ajoutent à ça ou amènent une façon de faire qui est organique, qui est authentique. [34’14]

GG : Je réfléchis aussi à quelque chose, on a parlé tout à l’heure d’atelier. Tu en parles aussi beaucoup dans ton article de 2018 sur la « création de soi ». Et dernièrement aussi, on a beaucoup travaillé sur la notion d’atelier en musique avec ma collègue et amie musicologue de l’Université d’Aix-Marseille, Christine Esclapez. On a répondu à un appel d’un colloque organisé par l’Université de Montpellier, et on va prochainement travailler sur un ouvrage collectif sur cette question de l’atelier. C’est vrai aussi qu’il y a quelque chose de l’atelier qui fonde quelque part ce questionnement du faire mais aussi, en même temps, du besoin de transmettre. Les artistes qui travaillent dans un atelier sont aussi dans cette dynamique du faire et en même temps de la transmission. Encore une fois, je vois qu’il y a un lien entre les deux et peut-être, quand tu dis : « quel est le futur de la recherche-création ? », moi je me pose la question si finalement, elle nous permet aussi de nous interroger sur le sens de la transmission, en même temps. Et pas uniquement de la recherche ou de la production d’une œuvre. Mais finalement, c’est ce qui nous fait aussi humains, quelque part. Cette capacité qu’on a à entrer en contact, cette capacité qu’on a à être empathiques, à partager avec l’autre. Et aussi à interpréter d’une autre manière, peut-être, la réalité qui nous entoure. Et aujourd’hui, j’ai lu encore une fois ton article sur la création de soi[6] et il y a quelque chose qui m’est venu à l’esprit. C’est une anagramme. Parce que le mot atelier c’est l’anagramme du mot réalité.

DB : Ah oui !

GG : Oui, et cela m’a fait beaucoup réfléchir parce que je dis, bon, c’est un pur hasard, mais quelque part, ça permet, un tout petit peu, de guider notre réflexion sur ce rapport entre le faire, entre la transmission d’un geste technique, d’un savoir, d’un savoir-faire, d’un rapport aussi au temps, à l’espace, aux matériaux, etc. Et qui est, on pourrait dire, le propre de l’être humain, de se poser aussi la question quelle est la réalité, comment on interprète cette réalité, comment on y vit… [37’26]

DB : C’est ça. C’est certain… C’est la recherche de ça qui m’intéresse. Et je sens que c’est beaucoup ça aussi qui t’intéresse. C’est quoi, la méthodologie de cette interrogation de la vie, de l’atelier, du réel, du vrai. Vrai, au sens de réel justement. Cette notion de réalité, c’est intéressant ton anagramme.

***

Écoute Grazia, je me demande si on ne devrait pas s’arrêter là parce qu’on est en train d’ouvrir une porte… j’ai l’impression qu’on est en train de … on a parlé dans l’université puis on a avancé, puis on a ouvert la porte de l’université, puis on est rendues dehors ! Alors je crois que si on voulait continuer, on devrait peut-être continuer dans un deuxième temps.

GG : Oui, bien sûr ! Je te remercie beaucoup de ce moment d’échanges. Ce sont peut-être des pistes, des fils, qu’on est en train de dessiner, d’esquisser. En tout cas, je trouve que ton approche, ton travail sur la réflexion, l’autoréflexion, la création de soi, etc., pour moi – et c’est aussi pour ça que je t’avais écrit et je remercie aussi Pierre Gosselin de m’avoir mise sur la piste de tes écrits – pour moi, c’est vraiment fondamental. Je voulais te remercier.

DB : Bien mon dieu! C’est moi qui devais te remercier ! Merci de me remercier ! (rires) Je te remercie beaucoup de ta grande générosité aujourd’hui. Moi, ce qui m’impressionne depuis qu’on s’est rencontrées, c’est ta capacité de réfléchir sur le coup. Tu ne fais jamais de formule toute faite, tu prends la question et tu t’en empares immédiatement. Et tout à coup tu la réfléchis puis elle s’éclaire. Je te remercie beaucoup de ça. Et on aura très certainement l’occasion de nous retrouver dans d’autres contextes.

GG : J’espère ! Merci !

DB :  Grazia Giacco, merci et au revoir ! [39’51]

Certains propos ont été édités par souci de concision et de clarté.


[1] Professeure au département de psychosociologie et travail social de l’Université du Québec à Rimouski. Membre du collectif « Les ateliers de l’œuvrement ».

[2] Boutet, Danielle, 2016-2017. « La dynamique instaurative dans la recherche création », Le crachoir de Flaubert, site dédié à la recherche création, Université Laval. http://www.lecrachoirdeflaubert.ulaval.ca/category/en-residence/danielle-boutet/

[3] Borgdorff, Henk. 2008. « Artistic research and Academia: an uneasy relationship ». In T. Lind (éd.), Autonomi och egenart : konstnärlig forskning söker identitet. [Autonomy and Inividuality – Artistic Research Seeks an Identity] (p. 83‑97). Stockholm: Vetenskapsrådet (Swedish Research Council).

[4] Borgdorff, Henk. 2011. « The Production of Knowledge in Artistic Research ». In M. Biggs et H. Karlsson (eds.), The Routledge Companion to Research in the Arts (p. 44‑63). New York: Routledge, Taylor & Francis Group.

[5] Borgdorff, 2008, p. 92.

[6] Boutet, D. (2018). La création de soi par soi dans la recherche-création : comment la réflexivité augmente la conscience et l’expérience de soi. Approches inductives, 5(1), 289–310. https://doi.org/10.7202/1045161ar

Les Ateliers de l’œuvrement reçoivent… Francine Chaîné

Anne-Marie Michaud1 s’est entretenue en ligne avec Francine Chaîné, professeure associée en enseignement de l’art dramatique à l’Université Laval, qui fut sa directrice de recherche lors de ses propres études de maîtrise et au doctorat. Cette entrevue a eu lieu le 28 mars 2022.

La discussion porte d’abord sur le parcours de Mme Chaîné — depuis ses débuts comme chercheur dans le domaine des arts et, plus précisément, en art dramatique, jusqu’à aujourd’hui. Nos deux collègues explorent ensuite la recherche en enseignement des arts, les méthodologies de recherche dont, notamment, l’autoethnographie qu’a utilisé Mme Chaîné, ainsi que des aspects importants de sa recherche tels que les notions d’artiste pédagogue et d’accompagnement en création.

Cette longue conversation, d’une durée totale d’une heure et 68 minutes, est présentée ici en deux parties que vous pouvez également retrouver sous forme de liste de lecture dans notre toute nouvelle chaîne YouTube… à laquelle nous vous recommandons bien évidemment de vous abonner! 🙂

1 Anne Marie Michaud est professeure en didactique des arts à l’Université du Québec à Rimouski.

Retour sur la journée d’étude du 18 décembre 2020

La journée d’étude, initialement prévue le 9 décembre 2020 dans les locaux de l’UQAR à Lévis, a été reportée au 18 décembre. Les conditions pandémiques nous ont obligées à tenir cette journée en mode virtuel. Voici un retour sur les faits saillants pour chacune des membres des Ateliers.

Anne Marie Michaud

Notre journée d’études fut l’opportunité de poser un regard rétrospectif sur la teneur des projets en recherche-création réalisés dans la dernière année et plus largement, de pousser ma réflexion sur le faire de l’art, tant dans ma pratique artistique qu’en contexte de formation artistique.

La pratique réflexive est au cœur de ma pratique artistique depuis longtemps et j’ai conscience que c’est elle qui me permet d’accéder à de nouvelles connaissances sur l’art et sur mon propre processus de création. C’est en comprenant l’ancrage de la pratique réflexive dans l’expérience de l’art que je relève mon propre dialogue de la création, mon être à l’art. 

Mon expérience d’artiste nourrit ma pratique d’enseignante et, inversement, ma posture pédagogique éclaire des aspects de ma démarche artistique. En ce sens, je crois qu’approcher la recherche-création publiquement comme une apprenante, est une façon de partager et de promouvoir l’expérience de l’art comme mode d’acquisition de connaissances. En ce sens, je veux être un amateur public, une personne qui apprend en public afin de partager et diffuser le savoir qu’elle acquiert. C’est le jardin que je veux cultiver comme artiste-pédagogue : un engagement envers moi et envers l’autre. Une envie d’aller de soi vers l’autre par la pratique artistique et inversement, d’apprendre des autres.

Danielle Boutet

« Quand il est pleinement engagé dans une pratique de création, l’artiste éprouve souvent le sentiment d’accéder à un type particulier de connaissance ; il se sent « connaissant » et, en ce sens, il comprend qu’il participe à l’élaboration de savoirs d’un ordre particulier. »

Diane Laurier et Pierre Gosselin (dir.), Tactiques insolites (Guérin, 2004), 168–169

Ma contribution, à notre journée d’étude de décembre, a porté sur un grand cycle créateur d’une douzaine d’années, intitulé Les dimensions sauvages. Mes œuvres de ces années-là – tant musicales que visuelles, littéraires ou performatives – étaient liées par une même inspiration : chercher à accéder, par l’art et l’imagination, à des états non civilisés et des expressions du monde « sauvage ». Je croyais pouvoir le faire en passant par mon propre monde intérieur.

Ai-je réussi? Rien n’est moins sûr : j’ai davantage exploré le chemin que la destination. Mais cette quête a été riche en visions, en réflexions et en produits artistiques eux-mêmes chargés de ces contemplations. Ainsi, bien avant que je rencontre la recherche-création et l’idée de l’art comme mode de connaissance, je m’étais investie, sans savoir encore le nommer, dans un projet systématique axé sur l’exploration de connaissances – surtout hermétiques et issues de l’inconscient du monde. C’est ce cycle qui, plus tard, finira par déboucher sur mon travail de doctorat.

Louise Gauthier

Il y a chez moi un double besoin: celui d’être en contact avec le monde sensible, et celui de documenter ce monde et de l’organiser en matière à réflexion. Pour moi, l’art, y compris la pratique artistique, est à la fois un champ de connaissance, une manière d’être et un mode d’action.

Lors de la première journée d’étude des Ateliers, j’ai présenté aux membres du collectif les grandes lignes de ma recherche depuis les années 1980 et discuté de cette préoccupation récurrente en moi de saisir ce que je nomme « l’esprit des lieux ». Curieusement, l’une des caractéristiques de mon travail visuel est l’absence du corps humain. S’il est là, ce corps, c’est par hasard: il est flou, en mouvement, de passage ou en second plan. Or, si les lieux auxquels je m’intéresse sont soi-disant vides, ils sont néanmoins vivants. Il y a quelque chose. D’où ma tentative de capter l’esprit des lieux par le biais du regard vernaculaire, ce regard cursif, quasi inconscient que nous portons sur ce qui nous entoure dans nos déplacements quotidiens – que ce soit en ville, dans la nature ou à la maison.

Lié à un état d’être à mi-chemin entre l’éveil accru (le témoin / l’ethnographe) et la somnolence contemplative (le rêveur / l’artiste), ce regard « désincarné » me préoccupe depuis plus de 30 ans et est celui que je cherche à cristalliser dans la matière photographique et par le ready-made. L’épicentre de ma recherche est donc peut-être davantage l’idée de la trace elle-même – la trace de l’esprit des lieux et des choses.

Suzanne Boisvert

J’ai voulu profiter de notre journée d’étude pour faire le récit de ce qui relie les œuvres qui continuent de vivre en moi. Plusieurs sont collectives et témoignent de l’évolution de mon œuvrement en communauté, mais aussi, de sa cohérence. D’autres sont plus intimistes, témoignant du flou entre l’art et la vie (pour reprendre l’expression d’Allan Kaprow), voire presqu’invisibles.

Le contexte pandémique dans lequel nous avons fait cette rencontre rendait d’autant plus vibrante l’importance de la présence dans mon travail, du tressage de l’intime et du collectif, du corps et de l’esprit, du souffle et du geste. En racontant les points de repère de ma trajectoire, je dessinais les contours de mon territoire poétique au présent, je découvrais (dans tous les sens du mot) ce qui palpite toujours à l’intérieur de moi, mais aussi, je dévoilais certains points de rupture et de questionnements : comment (re)trouver de nouveaux contextes de création qui rendent possible d’aller plus loin, plus profondément, ensemble ? Comment rester, ne pas quitter, ce monde où je ne me reconnais plus ? Comment ne pas tomber dans le piège d’un art « créatif » plutôt que véritablement visionnaire, pour reprendre les mots de l’artiste américaine Estella Conwill Májozo ? C’est d’ailleurs sur un extrait d’un de ses textes que j’ai conclu ma présentation :

« All artists are able to display their craft without exertion and engagement that marks a performance from the soul. An artist can simply project his or her persona while remaining detached from the performance and the audience. But if you are “working the sounds” – if you are involved in something that engages you; confronting your own prejudices, fears, and limitations, rather than merely presenting what you already know; feeling your discomfort and taking that discomfort into the terrain where the truth exposes you – then you are quite possibly in the territory of the vision. You are close to grasping the mystery of the healing. You are then, only then, within reach of the gift that you can bring back to the world. »

To Search for the Good and Make It Matter, dans Mapping the Terrain. New Genre Public Art. Publication sous la direction de Suzanne Lacy (Bay Press, 1995), 93.

Virginie Chrétien

Lors de cette journée d’étude, j’ai remonté le temps en observant des projets phares liés à ma vie artistique professionnelle; les récurrences, les forces et la singularité indéniable de mon langage. À ce constat, celui d’être le plus souvent prise d’un sentiment d’insatisfaction. En moi ça dit : « non, ça ne marche pas ». Pourtant, pour les personnes qui font l’expérience de mes œuvres, il semble que ma poésie les pénètre, que ma manière de rendre les objets et l’espace actifs en installation soit saisissante et sensible et que l’ensemble contribue à offrir une expérience hors de l’ordinaire susceptible de transformer notre regard sur le monde.

Ma réflexion actuelle consiste à comprendre, à travers une nouvelle recherche-création, comment je pourrais continuer à faire de l’art, à avoir une pratique artistique, en trouvant un nouveau modèle de pratique, des nouveaux dispositifs de partage de mon travail – dans sa durée, son format, son réseau et sa famille d’appartenance – afin de vivre en moi un véritable sentiment d’adéquation.

Aujourd’hui je suis consciente que ce sentiment d’adéquation est intimement lié à celui de parvenir à ce que créer et partager mon art fasse du sens, et cela dans tous les temps de l’œuvre et de l’œuvrement; de la production à la post-diffusion.